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Éducation

Quatre études de cas

Karenne Friday December 29, 2023

 

Kids Going To School  

Je fais état du parcours scolaire de mes quatre enfants et des observations que j’ai pu en faire suite à leurs expériences. Nous vivions dans une grande agglomération offrant de multiples choix de parcours scolaire. Mes enfants ont ainsi pu se diriger vers des options qui correspondent à leurs aptitudes et préférences. À travers chacune des expériences, il y a eu des choses dont j’ai retenu qui étaient positives et qui mériteraient d’être considérées dans une éducation positive et efficace. Par contre, d’autres aspects n’en étaient pas et me paraissaient plutôt nuire à l’éducation des jeunes et à leur épanouissement.

Enfant numéro un

La première à avoir à choisir son parcours a choisi une petite école spécialisée en art dramatique qui était située à moins d’un kilomètre de la maison. Il y avait plus d’heures de théâtre soit en interprétation, soit en production, et les élèves devaient compléter les matières régulières de façon plus accélérée. Ce que je trouvais intéressant de ce choix était le fait que l’école était très proche de la maison, ma fille n’avait pas de grosses journées d’école, elle pouvait même revenir à la maison pour le dîner. C’était une petite école; 40 dans sa cohorte. Il y avait une ambiance familiale. À travers l’étude du théâtre, ils ont appris beaucoup sur l’histoire, la littérature, la culture et le français, ils ont développé leur confiance et l’habileté de bien parler, entre autres. C’était de belles années au secondaire et ma fille y était à l’aise pour la plupart.

En ce qui concerne les bémols, puisqu’il y avait une concentration en théâtre, il y avait moins de temps consacré aux autres matières. À l’époque de ma fille, il y avait moins de soutien académique pour les élèves en difficulté, certains avaient de la misère à maintenir le rythme. Ma fille avait plus de difficulté en mathématiques, mais elle a eu la chance une année d’avoir un enseignant qui savait bien livrer la matière, et cette année-là, elle a bien réussi. J’en ai retenu de cet enseignant que les maths devraient être travaillées jusqu’à ce que l’élève comprenne. Les élèves faisaient leurs devoirs de maths en classe et comme ça, si l’élève avait de la difficulté, l’enseignant pouvait aider l’élève. Également, lors des évaluations, si l’élève n’avait pas une note de passage, l'élève devait reprendre l’évaluation. Cet enseignant visait une moyenne de groupe de 80% et très souvent il l’obtenait. Ceci, selon moi, est logique puisque si un élève ne comprend pas les maths, qui ne sont pas une matière subjective, l’élève devrait pouvoir travailler la matière jusqu’à ce qu’il l’ait saisi. Ce n’est pas souvent possible pour les enseignants d’opérer de cette manière par manque de temps et de ressources.

Ma fille a beaucoup aimé son secondaire. Elle s’est beaucoup impliquée et a relativement bien réussi ses matières. Elle aurait préféré ne faire que du théâtre et se passer des autres matières, surtout les maths et le français qu’elle trouvait pénibles. Mais, grâce au théâtre, ses journées passaient vite. La taille de l’école faisait en sorte que les enseignants connaissaient bien les élèves et les élèves ne se sentaient pas comme des numéros. C’est essentiel pour les élèves, surtout à l'adolescence, d'avoir un sentiment d'appartenance. Et, à travers l’étude du théâtre, les élèves ont également pu approfondir leur connaissance de la littérature, de l’histoire et de l’être humain entre autres.

Enfant numéro deux

Mon deuxième enfant était bon en maths et en science alors lorsqu’on a entendu parler d’une école avec un programme axé sur ces matières-là, on a décidé que ce serait une belle place pour elle. Comme on pensait, elle était bien là. Elle s’est tout de suite fait un petit groupe d'amis qui l’ont suivi tout au long de son parcours. Ils trouvaient mille et une façons créatives de s’amuser. Comme c’était une école qui sélectionne ses élèves, ça regroupait des enfants avec des profils similaires et ils devaient maintenir une moyenne de 70% pour y rester. Les profs étaient de qualités, qui avaient aussi choisi d’être là et ils étaient passionnés. Les projets étaient intéressants et même les enseignants faisaient des collaborations entre eux ce qui rendait l’apprentissage global! Mon enfant n’a pas protesté une seconde, même si elle avait un trajet de 45 minutes aller-retour chaque jour.

Mon enfant était dans son élément. Comme ma grande, le parcours était spécialisé et axé sur des intérêts spécifiques. Les enseignants étaient stimulants et ponctuaient leurs cours de projets intéressants. Le lieu était spectaculaire; de vieux bâtiments érigés sur le bord de la rivière. Comme discuté précédemment, la beauté des lieux a eu un effet sur son appréciation de son expérience. Comme elle était parmi d’autres élèves avec des goûts similaires, elle a eu de la facilité à se faire un beau groupe d’amis. Le fait de créer des liens forts est primordial. Lorsque les affinités sont similaires, il y a plus de chances de se trouver de bons amis et ceci pourrait faire une grande différence sur la motivation de se rendre chaque jour à son école avec une attitude positive.

Le hic est que c’était un programme sélectif au sein d’une école existante. Là, il y avait des programmes réguliers, le programme spécialisé et un programme pour les émigrants. Une des menaces que les enseignants utilisaient sur les élèves de ce programme était que s’ils ne réussissaient pas à obtenir le seuil de réussite (70%) ils seraient renvoyés au programme régulier. Ce genre de ségrégation est inacceptable. L'éducation ne devrait pas être divisée en paliers ou certains programmes sont stigmatisés. Comment les élèves au régulier pouvaient-ils se sentir en côtoyant les élèves “sélectionnés”? Effectivement, il y avait des tensions et du dédain entre les groupes. C’est aussi dommage que ce soit les élèves “sélectionnés” qui aient droit à des projets stimulants et à des enseignants plus motivés. Toutes les écoles secondaires devraient être spécialisées dans quelque chose ou avoir un choix de programmes et de projets intéressants. Les écoles “régulières” ne devraient pas exister.

Enfant numéro trois

Ma troisième fille a voulu aller dans une école privée, malgré moi. Son père a acquiescé alors, c’était parti pour 5 ans dans une école centenaire, uniquement de fille. C’était un choix difficile à avaler pour moi. Je ne crois pas aux écoles publiques qui sélectionnent leurs élèves, mais encore moins au système d’école privée. Cependant, mon enfant insistait et le choix était fait. J’étais vite confondu. Mes idées préconçues ont été vite déconstruites. D’abord, j’ai été surprise de leur approche très humaine. L’école se ralliait autour de ses “filles” et malgré la nature formelle de certains aspects de l’école, elle n’était aucunement froide ou austère. Il y avait une équipe en or qui s’occupait de leurs élèves comme si elles étaient les plus précieuses au monde. C’est bien évident, les parents paient. Malgré cette réalité, ce ne sont pas toutes les écoles privées qui ont cette attitude envers leurs élèves. Je déplore que chaque école ne voie pas ses élèves comme étant les plus précieux au monde! Également, l’école travaillait pour créer un esprit de groupe. Alors, malgré les 1100 élèves, il y avait un sentiment d’appartenance. Ma fille s’est aussi efforcée d’être engagée dans diverses activités et comités à son école, ce qui rend plus facile de se faire une place. Il y avait beaucoup de communication entre l’école et les parents. Les parents aiment se sentir informés et concernés. Il y avait beaucoup d’activités parascolaires. L’équipe école, sachant que la clientèle pouvait être hyper performante, avait même mis en place des stratégies pour limiter le stress que les élèves pouvaient ressentir. Bien sûr, les enseignants ont choisi d’être dans cette école et le directeur avait plus de pouvoir sur le choix de son personnel, ce qui n’est pas le cas dans les écoles publiques. Cela fait en sorte que la direction peut créer l’ambiance et la culture de l’école plus facilement. J’ai été aussi ravie de leur approche innovatrice sur le plan pédagogique. La directrice des services pédagogiques m’épatait avec son désir d’innover, d’être à l'affût des dernières études en pédagogie, de rendre l’apprentissage enrichissant et pertinent. Elle s'adresse aux parents en leur expliquant que ce n’est pas parce qu’ils sont allés à l'école que ça fait d’eux des experts en éducation; un commentaire audacieux, selon moi, à des parents "payeurs". Il y avait de nouveaux programmes pilotes que l’école essayait, et il y avait une volonté de rester pertinent et d’être avant-gardiste dans le monde de l’éducation. Parce que c’est une école privée, elle a plus d’autonomie et plus de contrôle sur ce qui se passe entre ses murs. Une des choses qui rend l’éducation plus compliquée dans les écoles publiques est la lourdeur de la bureaucratie. Il y a tellement d’étapes à suivre et tout est tellement réglementé que c’est difficile de prendre une décision ou de changer quoi que ce soit. Souvent, les choses sont perdues dans le processus, tandis que si l’école a plus d’autonomie, elle peut agir promptement.

Il ressort de cette expérience dans une école privée que beaucoup de ce qui est fait dans les écoles privées peut se faire dans les écoles publiques. Le hic est souvent la bureaucratie et le manque d’autonomie des établissements. Pour créer et maintenir une école publique stimulante, engagée et novatrice, il faut une direction forte, une équipe forte, et une communauté solide également. La plus proche de ce modèle que j’ai vécu dans le système public était à l’école primaire de mes enfants. Ils ont tous fréquenté la même école primaire ici au Québec et même après avoir travaillé dans plusieurs écoles dans la métropole, j’ai vu que cette petite école était avant-gardiste, résiliente et originale. Ceci est principalement attribuable à la grande implication de la communauté parentale et à l’ouverture et à la créativité de l’équipe de l’école. C’est comparable aux écoles dites “alternatives”.

Le grand bémol de cette expérience d’école privée est qu’elle est réservée aux familles privilégiées. Pourquoi seulement ceux qui ont les moyens peuvent-ils y fréquenter? Avec cela, il y avait tout de même une pression de “performer”. Cette pression était souvent exercée par les parents et les élèves eux-mêmes, en même temps, le curriculum était exigeant et les faibles résultats académiques n’étaient pas tolérés malgré le fait qu’il y avait du soutien pour les élèves en difficulté.

Enfant numéro quatre

Quant à ma quatrième fille, elle a choisi un parcours plus traditionnel. C’est une école secondaire régulière mais qui offre beaucoup d'options de cours et d’activités variées. Il y a des élèves provenant de toute sphère de la vie ainsi elle côtoie des gens issues de divers ethnies, diverses classes socio-économiques, et diverses cultures. Elle fait partie de l’option de théâtre, mais cette activité est offerte après les heures des cours et les élèves ne sont aucunement séparés des autres élèves. Les groupes changent selon le cours ainsi elle ne sera pas avec les mêmes élèves toute la journée. Pendant la pandémie, ils avaient des classes fixes et ceci a permis plus de cohésion dans les groupes, par contre, si le groupe était moins bien composé, les élèves pouvaient se retrouver dans une classe avec moins de cohésion pour toute l’année. La plupart des enseignants sont engagés, et s’intéressent à leurs élèves. C’était une école plus petite auparavant mais ils ont connu une augmentation de leur clientèle dans les dernières années.

Un des aspects le plus positifs de ce parcours est la possibilité d’appartenir au profil de théâtre. Ceci crée un sentiment d’appartenance, crée de la cohésion dans un groupe, et engage les jeunes dans une activité stimulante. C’est ce qui rend le parcours plus intéressant. En même temps, les enseignants sont très engagés et semblent, pour la plupart, vouloir créer des relations avec les jeunes. Ce sentiment est primordial pour un jeune, surtout au secondaire, mais tout au long d’une vie. C’est même plus important que la matière qui sera servie et digérée. Un ado qui se sent en confiance et qui se sent valorisé sera plus heureux et aura tendance à s’engager davantage dans son milieu. Voici une autre citation d’une étude qui soutient ce point.

Daniel and Araphostasis’ (2005) findings suggest that reluctant learners are more motivated to learn from teachers who supported them and sincerely wanted them to succeed. As shared by the two participants in this study, there is a strong relationship between the teacher’s sincere desire for students to succeed and the support provided by the teacher. Sincere desire, however, is rooted in how much the teacher cares about the students. When the students recognise that the teacher really cares about them, they translate the teacher’s effort to help them as support. When the teacher cares less about them, students translate the teacher’s hard work as merely an effort to maintain the subject’s grade. Thus, it did not increase students’ academic motivation. (1)

Les recherches de Richard M. Ryan portant sur la motivation intrinsèque et extrinsèque sont intéressantes et suggèrent que la relation a un effet sur la motivation et peut aider lorsque la motivation intrinsèque est moindre comme dans une activité moins intéressante pour l’apprenant : “Anderson, Manoogian, and Reznick (1976) found that when children worked on an interesting task in the presence of an adult stranger who ignored them and failed to respond to their initiations, a very low level of intrinsic motivation resulted, and Ryan and Grolnick (1986) observed lower intrinsic motivation in students who experienced their teachers as cold and uncaring.” (2)

Ma dernière participe à un projet pilote de son école où certains élèves ont été choisis pour faire partie d’un groupe qui a pour but d’offrir des activités d’appartenance. C’est un petit groupe mené par une enseignante. Ils se rencontrent au dîner une fois par semaine et quelques fois par mois à d’autres occasions. Les activités sont variées et vont de visiter une banque pour apprendre sur les finances personnelles à rencontrer le directeur pour lui poser des questions sur son métier et son parcours. Ce petit groupe a eu un effet positif sur le sentiment d'appartenance et a rendu l’expérience d’école secondaire plus agréable. Ma fille a également l’assurance qu’il y a une personne-ressource, cette enseignante, qui la connaît bien et qui est là pour elle si elle a des questions, des problèmes ou juste pour de l’encouragement dans sa journée.

Encore une fois, je déplore que ce genre de chose ne soit pas offert à tous les élèves et qu’il n’y ait pas de petits groupes pour tous ceux qui le veulent, afin d’être moins perdu, de se sentir soutenu, écouté et moins comme un numéro dans l’école.  Comme ma dernière l’a très bien expliqué, elle aime son école, les enseignants et ses amis, mais le stress qu’elle y ressent entache son moral. L’éducation ne devrait pas entrainer chez les élèves autant de stress, d’anxiété ou d’isolement comme beaucoup trop d'enfants ressentent.

Conclusion

Ces programmes, ces options et ces projets que j'ai mentionnés ne plaisent pas à tous et tous les élèves n’ont pas les mêmes goûts ni les mêmes besoins. En prenant cela en compte, on peut se demander pourquoi la possibilité de faire plusieurs activités, participer à des programmes spéciaux à des projets intéressants n’est pas offerte à tous les élèves. L’école devrait proposer une panoplie d’activités, de projets, d’associations, de toutes sortes d’expériences proposées aux élèves pour enrichir la vie de l’apprenant. Ce n’est pas tous les élèves qui vont vouloir participer à quelque chose, mais le choix devrait être offert pour tous ceux qui le souhaitent et devrait être encouragé afin de briser l'isolement et l'apathie. L’école est un milieu de vie. Le temps passé à l’école exige que ce soit un milieu stimulant, enrichissant et humainement chaleureux.

Si nous insistons sur la formule d’un système d’éducation externe à la vie familiale, où les enfants sont regroupés pendant de longues heures et pendant beaucoup de journées, il faut concevoir ce milieu comme étant un milieu de vie. L’apprentissage se fait à plusieurs niveaux dans la vie et non seulement dans une institution, assis à des bureaux en écoutant une leçon magistrale et en remplissant des cahiers. L’école contribue à cet apprentissage, mais je constate qu’elle nuit parfois à sa propre mission en voulant trop forcer l’apprentissage et en se donnant ce mandat d’être l'ultime lieu d’apprentissage.

(1) Jasmi, A., Hin, L. Student-Teacher Relationship and Student Academic Motivation. J Interdiscip Res Educ 4, 6 (2014). https://doi.org/10.7603/s40933-014-0006-0 p. 81

(2) Ryan, Richard M. and Edward L. Deci, Self-Determination Theory and the Facilitation of Intrinsic Motivation, Social Development, and Well-Being, January 2000. American Psychologist https://selfdeterminationtheory.org/SDT/documents/2000_RyanDeci_SDT.pdf p. 71