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Éducation

Étapes un, deux, trois, et…: Relation

Karenne Friday December 29, 2023

Daycare  

Nous sommes des créatures sociales. Nous vivons en société et nous nous organisons autour de l’un l’autre. Personne n’est capable de vivre sans relations sociales. De nombreuses études ont été rédigées à ce sujet. “SDT (self-determination theory) states that human behaviors arise from their motivation that social partners, such as parents, teachers, and peers exert a positive impact on by satisfying their psychological needs, namely, relatedness, competence, and autonomy (Deci and Ryan, 1985a)” (1) pour n’en nommer qu’une. Cependant, on oublie à quel point la relation est clé dans la transmission des connaissances. Plus que j’ai une bonne relation avec l'apprenant, plus il sera motivé à apprendre, plus il va chercher à apprendre de moi, plus il va être ouvert à l’apprentissage et plus que je pourrai le guider. Lors d’une première rencontre avec des élèves, nos séances devraient porter sur qui nous sommes, ce qu’on connaît, ce qu’on a fait et nos valeurs, etc. Et ce, de façon réciproque. Un adulte n’a pas à révéler les secrets de sa vie, mais l’enfant veut savoir à qui il a affaire. Il veut se sentir impliqué, concerné et surtout se sentir aimé. J’ai souvent mieux enseigné à un élève après la rencontre des parents. C’est là où je comprends mieux mon élève dans un autre contexte et que je vois l’amour que son parent a pour son enfant. J’aime entendre les petites histoires que le parent me raconte à propos de leur enfant, ses habitudes, son comportement à la maison, etc. Dans un contexte d’école traditionnelle, on voit l’apprenant dans une situation très particulière mêlée à 15 à 20 autres enfants et le temps est une denrée rare. On est tiraillé par les besoins de chaque apprenant et si l'on veut prendre le temps avec chacun, il faut étaler le temps accordé à chaque enfant de façon très mince. Il y en a toujours qui vont passer à côté de la track. C’est pour cette raison que l’on doit se poser la question de comment composer les classes ou les groupes d’apprenants, de combien d’élèves, de combien d’intervenants et d’enseignants dans la classe. Plusieurs études démontrent qu'un ratio plus bas enseignant-élève est à préconiser.

Ça devrait être le cas même au secondaire. Au secondaire, des petits groupes devraient être davantage prônés . Également, une place plus importante accordée à un adulte ressource, même en classe, serait à considérer afin de donner aux élèves un lien plus personnel avec un adulte qui connaît bien les élèves et qui sert de repère en cas de besoin. Les élèves, même adolescents, ont toutefois besoin d’une bonne relation avec leur enseignant, leur mentor ou leur guide. Un de mes enfants, qui éprouve le plus de misère dans le système, a eu l’occasion de faire partie d’un projet pilote dans son école. Une enseignante a pris en charge un petit groupe d’élèves. Avec ce groupe, ils ont des petites conférences, font des activités ensemble, mangent parfois ensemble et discutent aussi ensemble. L'enseignante avait même invité le directeur de l’école à parler au groupe de son parcours et les élèves l’ont vu plus comme un humain après cet entretien. Ce projet a eu un effet positif sur sa motivation et sa volonté d’aller à l’école. Il faudrait créer plus de petits groupes comme ceux-ci afin de donner aux élèves un sentiment d’appartenance et une place pour qu'ils se sentent moins comme un poisson balancer dans un grand océan rempli de requins. Les écoles qui offrent une variété d’activités parascolaires comprenant une variété de centres d’intérêt réussissent souvent à fournir cet espace, mais il y a encore beaucoup d’enfants délaissés. On oublie que l’adolescence est un moment charnière et parfois difficile. Le système actuel a de grandes lacunes à cet égard. Les enseignants qui trouvent des moyens d’entrer en relation avec leurs élèves réussissent à faire passer l’enseignement beaucoup plus facilement, mais un système ou on met un trop grand nombre d’ados tous ensemble et à les faire passer d’une classe à une autre comme dans une chaîne de production n’est pas propice à créer un sentiment d’appartenance et n’aide pas à développer des relations avec leurs enseignants, ce qui en conséquence nuit à leur apprentissage. Si on traite les enfants comme du bétail, ils agissent comme du bétail, tout simplement. Un enseignant au secondaire voit trop d’élèves dans une journée, il lui est difficile de se souvenir des noms et des caractéristiques de chaque enfant. Cela étant dit, ce n’est pas impossible et quelques enseignants réussissent à créer une sorte de lien avec leurs élèves pendant l’année scolaire. C’est peut-être éphémère, mais ça fonctionne pour le temps que ça dure. Les écoles où l’accent est mis sur la construction de bonnes relations réussissent à créer un sentiment d’appartenance chez les élèves et stimulent leur motivation intrinsèque.

Mes quatre enfants ont chacun fait leur secondaire dans une école différente. Chaque école ayant son approche, chacun d’eux a vécu une expérience riche et plutôt satisfaisante. Ce qui rendait l’expérience gratifiante était le fait d’être dans une école qui met de l’avant une cohésion et une appartenance, soit parce que le programme était spécifique, soit parce que l’école est petite, soit parce qu’on y a mis en place des mesures favorisant les liens humains. Mes enfants ont pu jouir de leur expérience grâce à un programme spécial sélectif, ou parce que c’était une école privée. Ce genre d’expérience devrait être accessible à tous les jeunes point à la ligne.

Créer des relations est essentiel dans le processus de l’apprentissage. Que faire si un apprenant n’a pas une bonne relation avec son enseignant? Dans notre système actuel, c’est tant pis; il aura plus de chance l’année prochaine. Il passera donc toute son année à lutter, à ne pas se sentir bien et à dépérir. On ne peut pas fuir toutes les personnes qui ne nous conviennent pas et ça fait partie de la vie d’être confrontée à des personnalités. Ceci étant dit, c’est l’éducation de l’enfant qui est en jeu. Changer d’enseignant devrait être une option parmi d'autres. Bien sûr, des efforts pourraient être faits pour améliorer une relation avec un élève. J’ai eu plusieurs occasions où j’avais une prédisposition à ne pas aimer un type de personnalité et lorsque je me retrouvais avec un élève disposant cette personnalité, c’était plus difficile pour moi d’être équitable et d’avoir une relation positive avec cette personne. J’ai vécu un moment où j’ai pu faire des efforts pour changer mon attitude envers cette personne, ce qui a rendu notre relation plus harmonieuse. En même temps, il y en a eu quelques-uns avec qui ça ne fonctionnait juste pas. Pour elle et pour moi, ça n’aurait pas été une mauvaise décision de changer d’enseignant. Elle n’en pouvait plus de moi et je ne pouvais rien pour elle. Je pense qu’il est possible d’expliquer à nos enfants que ce n’est pas nécessaire d’aimer ou de tolérer tout le monde. Parfois il faut se dire que cette personne ne nous fait pas du bien, bien qu’elle peut être une très bonne personne pour d’autres. On devrait également accepter de ne pas être aimé et de ne pas aimer tout le monde. En anglais, on fait la différence entre aimer "love" dans le sens d’amour, et aimer "like" qui prend le sens d'apprécier. On peut dire à quelqu'un “I will always love you but I may not always like you or like what you do.” Il peut être très formateur d’avoir vécu des relations insatisfaisantes dans son entourage si l’enfant apprend à les gérer pour les transformer. Cela dit, une bonne relation entre l’enseignant et l’élève est un autre élément essentiel dans le transfert des connaissances.

Un exemple de l’importance d’une bonne relation avec l’apprenant vient de mon conjoint lorsqu'il était jeune adulte et voulait perfectionner sa guitare. Un professeur renommé lui a été recommandé. Prenant son argent de poche pour prendre l’autobus pour se rendre à Montréal et payer ce “maître” des frais exigeant pour l’époque, il a commencé son apprentissage. L’enseignant en question n’a pas pris le temps de voir ce que l’élève connaissait déjà et a même ridiculisé son habileté. Il s’occupait parfois d’autres choses dans sa maison lors des cours, en donnant quelques exercices à l’élève et en le laissant à lui-même. Il ne prenait guère le temps de lui expliquer lesdits exercices. Il ne semblait pas s’intéresser plus que ça à donner des cours. Mon conjoint n’a pas fait plus que 3 cours avec lui.

Il existe des enfants qui sont tellement curieux, ou studieux qu’ils font abstraction et ne s'occupent pas de leur relation avec leur enseignant. Ils sont là pour apprendre et que l’enseignant l’aime ou l’apprécie est secondaire. Comme les enfants sont naturellement curieux de bases de toute façon, un enseignant n’a pas besoin d’être omniprésent ni d’être le meilleur ami de l’apprenant. Toutefois, il y a beaucoup de recherches démontrant l'importance d’une bonne relation avec les enseignants et les autres apprenants pour favoriser la motivation de l’élève et pour faire valoir les apprentissages présentés.

Et cela m'amène au prochain sujet connexe …


L’amour.

AdobeStock 110500990 Preview   Par l'amour j’entends : affinité, soin, attention, intérêt pour l’élève et son devenir.

Pourquoi évoquer l’amour quand on parle d’éducation ? Parce qu’il faut beaucoup d’amour pour éduquer les gens. C’est la pierre fondamentale de l'éducation. Il y a d’abord un amour pour l’apprentissage, et le savoir, l’amour pour ceux qui apprennent, l’amour pour celui qui répand les connaissances, l’amour qui jaillit dans le cœur de l'être vivant. Il y a aussi l’amour pour sa matière. L’amour est primordial dans l’éducation. Pourtant, il n’est pas toujours présent ni invoqué. Il est souvent écarté. Mais, qui, après tant d'années, oublie son enseignant qui l’a tant marqué, qui avait un amour pour son sujet et pour ses élèves? Nous avons tous eu un enseignant qui nous a marqués, et ce n’est pas uniquement parce qu’il a été bien organisé dans ses cours que nous le chérissons. C’est parce qu’il a su nous stimuler, qu’il a su voir notre potentiel et parce qu’il était passionné par son sujet. C’est celui-là qui nous a fait grandir et aimer apprendre. Le professeur qui aime ses élèves, aime sa matière, aime sa profession, aura un effet durable sur la vie de l’élève à moyen et à long terme. Je me souviens d’une enseignante qui se plaignait d’un parent qui lui avait reproché de ne pas aimer son enfant, sa réponse a été “Madame, je ne suis pas censée aimer votre enfant, je suis là pour l’enseigner.” Si seulement cette enseignante s’est rendu compte que sans amour, l'enseignement est fade et tombe dans l'oubli. J’ai une autre histoire plus positive. Ma grand-mère était une enseignante bien appréciée et même, aimée. Une fois, lors de mes tournées théâtrales en France, j’ai fait la connaissance d’un Canadien expatrié et après avoir discuté avec lui, on a découvert que ce monsieur d’une 40aines d’années, était un ancien élève de ma grand-mère. Quel hasard! J’ai alors suggéré d’appeler ma grand-mère pour qu’il puisse lui dire bonjour. À ce moment-là, j’ai vu ce monsieur redevenir le petit garçon de 8 ans. L’échange entre ses deux êtres était rempli de larmes, de reconnaissance et d’amour. Je savais que ma grand-mère était aimée comme enseignante. Elle était une sorte de légende dans son petit village. J’en étais fière. Mais, j’ai vite constaté qu’elle enseignait avec amour. Elle avait un amour pour les belles choses qui l’entouraient, la nature, la poésie, la spiritualité et elle était toujours émerveillée par la vie. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de voir comment les gens l’aimaient, et ce, parce qu’elle répandait l’amour.

Je suis née dans une famille d'enseignants. Ma mère, mon père, mes oncles, mes tantes…c’était presque impossible pour moi d’en échapper. J’ai vu comment la profession d’enseignant n’est pas facile et peut être tout accaparante. Je voyais ma mère se consacrer à sa vocation de longues heures, sans relâche. Même au point où parfois, j’en étais un peu jalouse de ses élèves qui recevaient plus l’attention de ma mère que moi. Mais, ce qui venait effacer le petit peu de frustration que je pouvais ressentir était l’amour que ses élèves éprouvaient pour elle. Je pouvais voir comment ils étaient reconnaissants. Plusieurs années plus tard, ils revenaient pour lui dire combien elle les avait influencés ou combien ils avaient apprécié son cours. C'était ma mère ça! J’ai vu mon père enseigner avec amour. Même si j’étais encore jeune lorsqu’il a quitté la profession d’enseignement au secondaire, j’avais l’occasion de le voir souvent en action lorsqu’il venait donner des ateliers à mon école lorsque j’étais au primaire. Même lorsque je suis devenue moi-même enseignante, j’ai fait appel à mon père pour venir répandre ses connaissances dans les domaines de l’art ou de la nature. Il est un vulgarisateur naturel, mais ce qui ressort également est l’amour qu’il a pour la vie et la nature et les jeunes.

Je suis certaine qu’au cours de ce paragraphe un ou deux enseignants qui vous ont marqué vous sont venus à l’esprit. Ce ne sont pas les plus rigides qui vous font sourire et vous rappellent une chose ou deux que vous avez apprise. Ce ne sont pas ceux qui ont bien suivi leur curriculum qui vous ont marqué. Ce ne sont pas ceux qui ont bien réussi à remplir les exigences du ministère qui vous ont fait vibrer. Pourtant, on ne dit pas à un étudiant qui se prépare à être enseignant “l’éducation, c’est l’amour.” ? Nous sommes bombardés par les exigences des ministères, des apprentissages obligatoires, des plans de leçon, des nouvelles techniques, des stipulations et formulations, des examens, des barèmes des courbes des seuils, des plans d’interventions à tel point qu’on oublie notre vocation d’enseignant. Tout comme les églises et les religions qui ont réduit la spiritualité à un dogme, l’éducation est réduite à des systèmes et des règles. On a voulu la concrétiser, la comprendre, la réduire en concepts et formules atteignables, mais on a oublié le mystère et l'émerveillement et l’essentiel: l’amour.

Une marchande de fleurs m’a dit un jour :”In this kind of business, all your flowers are like your children. If you don’t put in the love and energy, they won’t be beautiful. In this kind of job, you can send people good energy. … If you don’t put in the love or energy, it will be different.” Je dirais la même chose pour les enfants. Les enfants sont comme des fleurs et si on ne met pas de la bonne énergie et de l’amour aux enfants, ils ne pourront pas s’épanouir.

(1) Yanhong, Shao. Kanf Shumin The Link Between Parent-Child Relationship and Learning Engagement Amung Adolescents: