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Éducation

Étape quatre : Combler les besoins

Karenne Friday December 29, 2023

 

  Scared Child At Nighttime   

 

 

Lorsque j’ai un élève dans ma classe qui n’est pas disposé à apprendre, que faut-il faire? Réprimander. Corriger. Sanctionner. Féliciter et récompenser les bonnes attitudes et les bons comportements. Trouver d’autres moyens pour lui faire apprendre. Appeler une aide pour qu’il puisse bénéficier des services offerts par le système. Mais en bout de ligne, il faut lui faire apprendre. Il faut qu’il suive le courant. Il ne faut pas le perdre. Il ne faut pas qu’il tombe en arrière.

Demandons-nous d’abord de quoi l’enfant a besoin. Je ne vise pas uniquement les besoins d’ordre pédagogique ; j’évoque plutôt ses besoins primaires, qui sont les siens. Il est nécessaire de commencer là! Ce n’est pas l’affaire de l’enseignant de combler tous ses besoins. L’enseignant est là pour guider les apprentissages et s’efforcer à être un adulte exemplaire devant les élèves. Lorsque le besoin d’un enfant supplante sa curiosité, il doit être assouvi. Un enfant qui a faim n’a pas besoin de savoir combien vaut 2 + 2, il a besoin de manger. Si un enfant qui n’est pas curieux c’est parce qu’un besoin qui n’est pas comblé. Ces besoins peuvent généralement être comblés par sa famille. Les parents ont un lien de proximité privilégié avec leurs enfants. Ils inculquent les valeurs, la vision du monde et répondent aux besoins primaires de ses enfants. Les adultes se demandent-ils c’est quoi d’être un parent et c’est quoi un enfant ? Sont-ils uniquement là pour satisfaire les besoins matériels de leur progéniture? Faut-il tout connaître, tout savoir pour être un bon parent? Aucun parent n’est parfait, mais c’est une tâche sérieuse qui demande beaucoup de temps, d’énergie, de sagesse, de patience et j’en passe. Les enfants ne naissent pas des vaisseaux vides et ont déjà leur propre personnalité, etc., mais nous, les parents, jouent un rôle primordial dans le façonnage de ces êtres-là. Comme enseignante et comme éducatrice en garderie, j’ai vu beaucoup de parents à bout de souffle, qui déposaient leurs enfants à la garderie parce qu’ils n’en pouvaient plus, de parents à court de moyens, de parents mystifiés et dépassés par la responsabilité parentale. Nous allons revenir plus loin parce que je suis convaincue que nous ne donnons pas assez de soutien aux parents, que le système économique prend trop de place, que nous n’accordons pas assez de temps ni de ressources aux familles, que nos priorités en tant que société ne sont pas bien alignées et que cet état de fait a des conséquences sur l’éducation d’aujourd’hui. Les enfants ont besoin de leurs parents pour combler certains de leurs besoins. Or, même si c’est vrai que les professionnels de l’éducation et du domaine de la petite enfance sont souvent formés, passionnés et dévoués aux enfants, ils ne remplaceront jamais les parents.

Besoin d'amour inconditionnel

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Un des besoins essentiels est le lien familial, le sentiment d’être aimé inconditionnellement, le sentiment d’appartenance. Si l’enfant ne se sent pas unique et aimé, pourquoi ferait-il l’effort d’apprendre ce que l’on lui dit d'apprendre?

Lors de la rédaction de ma maîtrise, après avoir étudié plusieurs familles et après avoir récolté et analysé les données ramassées en réponse aux questionnaires, j’ai été frappé par le constat que les enfants passent moins de temps à la maison que leurs parents. Ce berceau de sécurité, de calme, de ressourcement, là où l'enfant est plus libre de se développer, ce lieu précieux est trop souvent inaccessible. Aussi, l’enfant passe moins de temps avec ses parents qu’avec ses collègues de classe ou ses enseignants. Alors, les parents ne devraient pas être surpris lorsque leur enfant devient adolescent et ne s’intéresse plus à leurs parents. Les parents secouent leurs têtes en se disant “Je ne reconnais plus mon enfant.” Le temps que les parents passent avec leurs enfants, à se chicaner avec eux, à les observer, à leur montrer le monde, à jouer avec eux, à être présent pour eux et à être là que leurs enfants puissent observer leurs parents, est primordial. C’est le temps qui est difficilement rattrapable plus tard. Ce sont des moments où les enfants se sentiront sécurisés. Il y existe des parents inaptes, voire néfastes pour leurs enfants. Les enfants de ces familles-là ont l’intérêt de ne pas passer trop de temps avec leurs parents. Mais, tout parent est imparfait, l’enjeu n’est pas d’être le parent parfait, mais de créer un lien avec ces parents. Les enfants vont démêler l’imperfection de leurs parents plus tard dans leurs vies, et ils vont faire leurs propres erreurs que leurs enfants vont démêler.

Et lorsque la famille est en défaut de pouvoir combler ses besoins, il y a la communauté qui entoure cette famille. Les adultes qui entourent les enfants devront tous avoir les yeux et les oreilles ouverts pour reconnaître les besoins des enfants. Chaque enfant relève notre responsabilité parce que nous formons tous le tissu social. Il existe également des organismes et des professionnels dont le mandat est de s'occuper d’un aspect ou d’un autre du développement humain et de répondre aux besoins manquants des humains. Ces organismes essaient de reproduire la communauté dans laquelle nous prenons tous soin l’un de l’autre le mieux possible. L’idée qu’il faut un village pour s’occuper d’un enfant est vraie, et je dirais même qu’il faut un village pour s’occuper du village. Structurer de l’aide qui est portée aux humains en donnant des balises, de l’organisation, une régie interne, etc., aide à donner de l'ordre à cette aide. Mais si la structure passe avant l'humain, elle perd son sens. Nos organismes et ceux qui y travaillent peuvent combler certains besoins des jeunes, surtout lorsque les parents sont en défaut, mais ne les remplaceront jamais.

Besoin d'être encadré

Structure Gc58a04cb9 1280   Un autre besoin d’un enfant est de se sentir encadré, mais, encadrer de quelle manière? Un cadre ne veut pas toujours dire la même chose pour tout le monde. Pour certains, c’est d’avoir une routine rigide pour que l’enfant puisse se repérer. Pour d’autres, c’est d’avoir établi une liste de règles de base et de les renforcer lorsqu’elles ne sont pas respectées. J’ai observé plusieurs enseignants et je constate la sévérité et son niveau de tolérance au chaos. Le contrôle d’un enseignant sur sa classe ne dépend pas de sa sévérité ou de sa rigidité du cadre, mais de comment il ou elle implante le cadre, de son propre système et la consistance du système. Les élèves se sentent en sécurité lorsque l’enseignant est confiant et se sent en sécurité et lorsque le cadre repose sur le bien de l’élève. Si le système de l’enseignant est implanté avec assurance, consistance, conséquence et bienveillance, l’enfant se sentira en sécurité. Trop de rigidité ou trop de laxisme ne sont pas bons pour l’enfant. Dans un système trop rigide, il ne développera pas de créativité, d’autonomie, ni d’autodiscipline. Le but est d'amener l’enfant à développer son autodiscipline. Lorsque le système est trop rigide, l’enfant répond à une série de règles pour plaire à l'enseignant ou pour avoir une récompense ou par peur de se faire trop réprimander. L’enfant n’a pas intégré les règles, il ne se les approprie pas. En même temps, un système trop laxiste peut rendre les élèves inquiets. Ils ont du mal à établir une routine qui favorise la structuration des apprentissages.

Lorsque je développe mes règles de classe, je demande souvent aux élèves de les développer avec moi. Les comportements dans la classe sont articulés par eux avec un raisonnement. D’abord, on établit quel est notre but comme classe, et comment on aimerait se sentir et nous partons de là. Cela favorise la conscientisation des raisons pour lesquelles on met en place ces règles, ce qui augmente leur compréhension de celles-ci. Parfois si je demande à un jeune enfant pourquoi il ne faut pas faire ci ou ne pas faire ça, il répond “Parce que sinon, je vais me faire chicaner." Avec cette réponse, l’enfant n’a pas intégré le pourquoi de la règle, il comprend seulement qu’il ne veut pas se faire chicaner.

Avec un système trop laxiste, l’enfant se sent hors de contrôle. TDAH moi-même, je perds parfois le fil de mes interventions. Trop concentrée sur la tâche devant moi, il m'arrive de ne pas suivre les consignes que j’ai moi-même mises en place. Pour approfondir le sujet, je vous recommande de lire les livres de Barbara Coloroso ; ils m’ont beaucoup inspiré. Elle catégorise les enseignants ou parents en trois catégories: le mur de brique, la méduse et la colonne vertébrale. Au fond, on devrait chercher à être comme une colonne vertébrale qui est solide, donne une structure, qui tient droite, mais qui possède une grande flexibilité. On évite d'émuler un mur de brique qui est inflexible, dur et intransigeant. Je ne développerai pas davantage ce sujet. Je souhaite toutefois insister sur le fait que l’enfant doit occuper le premier rang dans son processus d’apprentissage. Ainsi, il ou elle prendra possession de ses connaissances et développera des outils qu’il utilisera tout au long de sa vie.

Besoin de beauté

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Un autre besoin sous-estimé est le besoin de beauté. L’être humain a besoin de beauté. Je l’ai constaté lors d’une tournée de deux ans en Pologne. Pendant l’ère communiste, des immeubles ont été construits pour loger le monde. Ces immeubles étaient très efficaces, très pratiques, très uniformes, par-dessus tout, très laids! La laideur de toute construction communiste était frappante. De novembre à mars, la vie est morne, triste, déprimante à un tel point! Je voulais fuir, je cherchais le brin de beauté autour pour remplir mon âme. Heureusement, ces périodes ne duraient pas longtemps et heureusement dans le cadre de mon travail artistique, on se promenait alors qu’on voyait toutes sortes de paysage et de villes, certaines plus jolies que d’autres. Ironiquement, les maisons individuelles, qui souvent prenaient des années à être construites (à cette époque, les gens bâtissaient leurs maisons au fur et à mesure que l’argent rentrait), constituaient un baume pour les yeux, même si elles étaient souvent situées dans des endroits mal desservis en matière de services tels que le chauffage, l’électricité et les routes pavées. Une des grandes icônes à Varsovie, le capital du pays, est le palais de la culture qui est au centre de la ville, construite par les Russes en 1953 par Staline comme cadeau au pays. La blague que les Polonais racontent toujours est celle-ci “Où dans la ville as-tu la meilleure vue du palais de la culture? À l'intérieur, comme ça tu ne le verras pas!” Pour Elisabeth Toulet, dans son livre La Beauté à la rencontre de l’éducation, la culture et la beauté sont des éléments essentiels dans la vie de l’humain au même titre que la nourriture et un toit. C’est pour cette raison que les gens de la ville vont dans la nature pour se ressourcer, pour être développé un processus de création, c’est pour s'entourer de beauté. La nature est belle. Le ciel est une œuvre d’art chaque jour, chaque soir, et chaque minute. Les gens veulent s’entourer de belles choses. La vraie beauté est ancrée dans l”âme.

Pour cette raison, les édifices d’enseignement devraient être beaux. Un de mes enfants, qui ne prêtait pas tant d’importance à l’esthétique, est allé à une école secondaire hébergée dans un bâtiment patrimonial, érigé à la fin du 19e siècle qui est situé au bord d’une rivière. À force d’y aller chaque jour, mon enfant a constaté que c’était beau et que la beauté lui faisait du bien. Un autre de mes enfants a carrément choisi son école pour sa beauté. Elle s’est dit qu’elle n’envisageait pas d'aller chaque jour à un endroit où l'environnement était morne et non inspirant. Dommage que ce n’était pas pris en considération dans la construction de toutes les écoles. Infoman a même fait un reportage en novembre 2015 sur la condition lamentable de nos écoles. (1) En faisant le choix de garder les coûts de construction le plus bas, les gouvernements ont choisi les architectures les plus médiocres. Sans compter le manque d'entretien des écoles publiques. Ceci ne peut pas aider à inspirer nos jeunes écoliers!

D'autres besoins

D’autres besoins sont tout aussi essentiels comme le besoin de sécurité, une bonne nutrition, un bon sommeil, etc. C’est évident qu’ils sont primordiaux ; toutefois, il arrive trop souvent que l’on impose l’éducation sans tenir compte des besoins spécifiques de l’enfant. On espère alors que ceux-ci seront comblés par d’autres sources. Je m’en souviens lorsque j’étais en 8e année en Ontario, je vivais des angoisses existentielles. J’avais 13 ans et j’étais une candidate prisée pour une crisette adolescente. Je sais que j’avais la volonté de bien faire, et tous mes enseignants me disaient “Karen, tu es bonne. Tu es intelligente mais il faut juste que tu t’appliques plus. Il faut que tu t’organises mieux. Il faut que tu fasses plus d’effort.” Je ne savais pas à cette époque que j’étais ce qu’on appelle maintenant TDAH (ce que je trouve déplorable comme appellation, mais je ne vais pas rentrer dans cette discussion ici). Et j’avais des problèmes d’amitié et d’appartenance à mon école. Je ne “fittais” pas. J’ai alors fugué en plein milieu de la journée d’école pour aller consulter. Ironiquement, mon père à l’époque travaillait dans une firme de thérapie sociale. Je connaissais bien la place. Une des thérapeute a pris le temps de m’écouter. Après m’avoir écoutée un moment, elle m’a dit “Mais, ne t’inquiètes pas de tes notes et ce que disent tes enseignants. Concentre toi sur toi, que tu te sentes bien avec toi-même. Après ça, le reste va venir!” C’était un moment d’illumination! Un Eureka! J’étais libéré de la pression de la performance scolaire. Je pouvais mettre mon focus et mon énergie sur mon bien être. Et cette dame avait raison. Les années suivantes, lorsque je me sentais mieux et que je ne luttait pas contre le sentiment de rejet, les notes ont suivi. Pour la plupart. Et celles qui n’ont pas suivi…et bien, ce n’était nullement la catastrophe! Je suis encore en vie aujourd’hui. J’ai retenu le ⅛ de ce que j’étais supposé apprendre (c’est peut-être généreux), mais, j’ai eu une expérience d’école secondaire bien correct. En tout cas, je suis sortie indemne. J’ai seulement réalisé à la fin de mon parcours que j’aimais ça apprendre. Et même là, j’ai pris plusieurs années pour vivre la vie, pour obtenir de l’expérience avant de retourner sur les bancs de l’école. Et là, lorsque je suis revenue, j’étais disposée, prête et avide d’apprendre. Encore là, les points à retenir de ce récit sont que l’apprenant ne peut pas bien apprendre lorsqu’il y a un autre besoin criant. L’apprenant ne peut pas apprendre s’il ne se sent pas bien dans son milieu, s’il n’y a pas de lien d’appartenance et de relations positives avec ses enseignants et ses collègues. L’apprenant n’apprend pas tout simplement parce qu’on lui dit qu’il doit apprendre et qu’on lui dit “Ouvre la bouche et mange!”.

Un enfant dont les besoins de base ne seront pas satisfaits ne pourra apprendre. Par contre, un besoin comblé peut en soi apporter des apprentissages. Si un enfant a faim et qu’on lui apprend à faire du pain, à cuire des pâtes ou encore à jardiner, il a non seulement comblé son besoin, mais il a aussi appris.

Récapitulons, imaginons qu’il n’y a plus de système du tout. L’école comme nous le connaissons n’existe plus. Que faisons- nous? Nous avons devant nous un nouvel être arrivé sur cette planète, équipé avec sa propre curiosité, prêt (ou pas) à affronter la vie. Que faire pour prendre son éducation en main? La première étape, est de ne rien FAIRE, mais de l’écouter, d’être là, de montrer pour que l’élève puisse nous observer et nous copier, qu’on puisse le guider comme j’ai mentionné préalablement. La deuxième chose est de s’assurer que ses besoins de base soient satisfaits. S’il manque un besoin essentiel, l’apprentissage n’est pas de mise. Nous faisons appel à la famille et au besoin à la communauté pour que ces besoins soient comblés. Ensuite, toute méthode, approche, système, etc., doit impérativement mettre l’enfant, ou l’apprenant au centre. Nous n’enseignons pas pour le ministère, nous n’enseignons pas pour le système, ni pour les bureaucrates, ni pour notre directeur ou directrice. Nous enseignons pour ceux et celles qui sont là avec l’appétit d’apprendre!

 (1) https://ici.radio-canada.ca/info/videos/media-7371674/infoman-visite-ecoles-en-ruines