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Éducation

Étape deux : Tenir compte de la curiosité des enfants

Karenne Friday December 29, 2023

Nadia Wow Arc En Ciel   

Un enfant est curieux de base. Pensez à un enfant que vous connaissez. Si vous en avez, c’est une bonne référence. Un parent est souvent émerveillé par son enfant qui, dès un jeune âge, explore, se fascine, cherche et découvre son environnement. Il faut bien suivre un petit qui commence à ramper, car l’enfant, sans souci des dangers imminents, partira à l’exploration de son environnement comme un astronaute qui pose le pied pour la première fois sur une nouvelle planète. Apparemment, lorsque je n’avais que 2 ans et que mes parents étaient en visite à Toronto, je me suis faufilé à l’extérieur et j'ai commencé à me promener seule dans les rues. Heureusement, mes parents s’en sont rendu compte et m’ont récupérée avant que j’en aie eu le temps de me perdre ou d’avoir un accident. Mes premières tentatives de devenir exploratrice venaient d’être déjouées.

Quel parent n’a pas vu son enfant repérer un drôle d’objet par terre, balle, roche, mouche, etc., pour ensuite le mettre dans la bouche. On pense aux tout petits, mais la découverte ne se termine pas après seulement quelques années. Un adolescent cherche également à pousser les limites de ce qu’il connaît . C’est essentiel pour tester si tout ce qu’on lui a dit est vraiment la réalité. Mais que faire avec cette curiosité? Qu’est-ce qu’il veut savoir? Pourquoi? Qu’avons-nous à leur montrer?

Pour plusieurs auteurs qui ont écrit sur le sujet (Roger Cousinet, Jean Piaget, Elisabeth Toulet, Paulo Freire, Henri Matisse et j’en passe), l'éducation formelle, standardisée et institutionnalisée est devenue problématique, car elle n’encourage pas assez le questionnement, la créativité ou le sens critique. Sans la possibilité de remettre les apprentissages ou la vie en général en question, on risque de perpétuer certains comportements néfastes, de couper la curiosité et le désir d’apprendre ou même de remplir les têtes de connaissances inutiles. Un système qui encourage la régurgitation de ce qui a été mis dans la bouche des enfants n’est pas une vraie éducation. L’enfant ne saura pas comment utiliser ses apprentissages dans des contextes variés ni pourquoi il doit faire certains apprentissages.

Voici une anecdote qui illustre bien ceci. C’est l’histoire d’une jeune femme qui coupe cérémonieusement les jambes de sa dinde en les plaçant stratégiquement en dessous de l’oiseau avant la cuisson pour le Gand festin familial de chaque Noël. Sa fille demande pourquoi elle fait ça. Elle répond que c’est important de faire ça avant la cuisson parce que c’est ce que sa mère lui a dit. Alors, la jeune fille s’en va voir sa grand-mère et elle demande pourquoi c’est important de couper les jambes de la dinde avant la cuisson. Elle répond que sa mère à elle lui a dit que c’était important. Par chance, l’arrière-grand-mère était encore en vie et elle était présente lors de cette grande réunion familiale, alors la petite fille va voir son arrière-grand-mère pour lui demander l’importance de couper les jambes de la dinde avant la cuisson. La vieille dame lui répond que c’était la seule façon de faire rentrer la dinde dans sa petite casserole allant au four dans le temps. Heureusement que la petite fille était curieuse et avait un sens critique, car elle saura la vraie raison de ce petit rituel.

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Donc tout enfant est curieux, mais… À l’école, on ne nous encourage pas souvent à être curieux. On place un adulte devant les enfants et l’adulte inculque aux élèves toutes les connaissances préalablement choisies par les instances le mieux qu’il ou elle le peut en suivant des techniques, en utilisant des méthodes ou encore du matériel propice à répartir cette connaissance. À la fin de l’année, l’enseignant est obligé d’évaluer pour voir si ces connaissances ont bel et bien été apprises (malgré le fait que beaucoup vont l’oublier aussi vite pendant les vacances d’été). L'idée derrière cette façon d’organiser l’apprentissage était de donner les meilleures chances à tous les enfants pour qu’ils puissent grandir et avoir un bel avenir, peu importe sa situation familiale ou sa position socio-économique.

C’est vrai que si nous étudions ceux qui sont moins nantis, on constate qu’il faut un système ou un filet pour aider ces enfants à accéder à certaines connaissances afin de pouvoir grandir avec les meilleures chances. Beaucoup d’études ont été réalisées sur ce phénomène, et parfois il est possible de récupérer certains enfants grâce à de nouveaux programmes, à de nouvelles approches ou à des services élargis. Mais, trop souvent, les cycles de pauvreté, d’inégalités et d’ignorances continuent. Pourtant, ces enfants ont obtenu des connaissances à travers le système; des connaissances qui les ont aidées, du moins, c’est ce qu’on nous dit. Graĉe à cette éducation, les adultes fonctionnent relativement bien. La plupart réussissent à se trouver un emploi et à effectuer leurs tâches sans trop de difficultés. Ils conduisent des autos, achètent des choses, élèvent des enfants. Semblerait-il alors que l’éducation a réussi son pari. Mais, qu’est ce qu’on cherche, quel est notre but, quelle est notre essence, notre raison d’être sur cette planète? Pourrait-il que ce soit plus qu’obtenir un emploi, conduire une auto, procréer pour procréer, consommer et avoir de légères conversations avec les autres qui nous entourent? N'aurait-il pas plus que ça à notre existence? Nous avons tous notre spécificité et c’est ce qui rend l’humanité fascinante, et aucune approche à l’éducation ne devrait enlever la spécificité de chaque être humain. Mais alors, qu’est-ce que l’humain? Qu’est-ce qu’il doit être? Qu’est-ce qu’il faut apprendre? Pourquoi apprendre?

Comment en sommes-nous arrivés là? Nous avons la preuve que les enfants sont curieux et veulent connaître le monde qui les entoure et nous en sommes arrivés à un système qui décourage et démotive une bonne partie de la jeune population. Apprendre ne devrait en aucun cas être perçu comme une corvée. Oui, il y a un effort qui doit être fourni, mais cet effort devrait tomber dans la catégorie du “flow” comme dit Csikszentmihalyi, qui étudiait la psychologie du bonheur et du bien-être. Il constatait que, même dans des situations ou de grands efforts doivent être déployés pour quelque chose, si c’est dans quelque chose de stimulant, de passionnant et qui nous interpelle, on est plus heureux dans cette activité que dans le repos ou à rien faire (j’ai simplifié, mais l’important est de retenir le concept du flow dans une activité stimulante). Il dit qu’il y a une corrélation entre le bien d’être et d’être dans la réalisation d’une activité quelconque. Lorsque nos habiletés sont utilisées dans une expérience optimale, nous sommes dans le “flow” et c’est ce sentiment qui nous rend heureux. C’est pour cette raison que des athlètes peuvent se forcer jusqu’à l’extrême dans une activité quelconque, ou un artiste n’arrêtera pas même dans des conditions extrêmes ou difficiles. Alors, un enfant, pour qui l’univers devant lui est nouveau, inexploré et fascinant, ne devrait jamais se lasser d’apprendre et de faire des découvertes.

Il y a une autre étude intéressante qui démontre l’effet de la motivation intrinsèque des enfants pour certaines activités à la maternelle. L’étude prend deux groupes d’enfants : un reçoit une récompense pour une activité que l’enfant faisait de façon autonome auparavant, l’autre ne reçoit toujours pas de récompense. Les enfants du groupe qui recevait une récompense pour l’activité perdaient de l’intérêt à l’activité petit à petit, tandis que les enfants qui faisaient l’activité juste pour le plaisir, continuaient à le faire et à en prendre plaisir. Cela illustre bien cette idée des enfants qui sont curieux ou qui veulent apprendre et faire des activités qui contribuent à leur apprentissage. L’étude fait l’argument qu’aussitôt que nous renforçons une activité d’apprentissage avec une récompense, l’enfant devient méfiant de l’activité et se demande pourquoi l’activité nécessite une récompense et alors assume que l’activité en soi ne doit pas être si intéressante.

Je me souviens d'un des moments où mon apprentissage a pris un essor. Lors d’ une grève du corps enseignant, mes parents ont décidé de m'emmener à la bibliothèque et je pouvais sortir tous les livres que je voulais. J’ai eu l’envie de tout sortir. J’ai passé des heures allongées sur le tapis dans le salon à lire des livres sur les constellations, sur la nature et toutes autres choses. Je me souviens d’avoir été déçue lorsque l’entente a été finalisée puisque je devais retourner à l’école et m'ennuyer à nouveau!

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C’est dans ces moments-là où les différences socio-économiques et culturelles peuvent être plus prononcées. Mes parents, étant bien scolarisés et stimulés culturellement, ont eu le réflexe de m’emmener à la bibliothèque lorsque l’école n’était plus accessible. Mon père m’engageait dans plusieurs activités intéressantes autour de la maison et dans le jardin et ma mère, enseignante passionnée d’éducation et de lettres, prêchait par l’exemple. Cependant, si j’avais fait un sondage à cette époque-là pour savoir ce que les autres familles ont fait pendant cette période, j’aurais probablement été surprise par la disparité du stimulus offert par les familles. Nous n’avons qu’à étudier un phénomène plus récent pour en constater une chose similaire, celui du confinement lors du Covid. Certains élèves ont pu profiter de la chance d’avoir fait des choses extraordinaires avec leurs parents et leurs frères et sœurs pendant cette période. J’étais enseignante au primaire pendant ce temps et j’ai constaté que pour certains enfants, l’école était un inhibiteur, les empêchant d’explorer, d’apprendre, d’être fasciné par la vie et pour d’autre, le manque de stimulation à l’école a eu une incidence néfaste sur leur développement. Certains enfants sont revenus en force après cette période-là, et en ont témoigné regretter un retour. D’autres ont perdu toute motivation et sont revenus perdus et sans initiative.

Devant la disparité entre les familles et les chances données à chacun, vous vous direz: “Bon, vous voyez? L’école standardisée et institutionnalisée est la meilleure solution offerte. Ce n’est pas parfait, mais ça empêche les grands écarts entre les enfants issues de différents milieux socioéconomiques.” Oui, ça permet à certains enfants d’accéder à des connaissances et plus encore, de la stimulation qui ne serait pas possible s’il n’y avait pas l’école. Mais penchons sur Maria Montessori avant d’aller plus loin.

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Maria Montessori

Maria, une de mes grandes héroïnes, a constaté l’écart entre les enfants issues de familles moins aisées et les plus nanties en matière d'éducation. Elle remarquait que le fait de ne pas avoir accès à certaines choses, certains matériaux et même encore certains environnements étaient ce qui nuisent le plus à ces enfants. Elle a donc, entre autres, rempli ses écoles d’objets communs auxquels les enfants défavorisés n’avaient pas accès. Elle encourageait les enfants à explorer, à manipuler différents objets et elle a créé plusieurs matériels pédagogiques qui excitaient la curiosité et la découverte. L’enseignante devenait guide et laissait les enfants explorer, s’organiser et interagir avec son environnement. L’enseignante faisait des démonstrations, mais le temps de l’élève était investi à explorer et découvrir plutôt que d’écouter et de régurgiter. Comme c’est bien expliqué dans sa page Wikipédia : “ Given a free choice of activity, the children showed more interest in practical activities and Montessori's materials than in toys provided for them and were surprisingly unmotivated by sweets and other rewards.” Elle plaide pour une éducation basée sur la curiosité innée de l’enfant. L'enseignante devenait davantage une observatrice qui ramassait de l’information sur ses apprenants et par la suite pouvait cibler les apprentissages et les découvertes. Mais, ses recherches dans les classes ouvrières ont vite fait du bruit dans les familles aisées. Ironiquement, ce sont davantage les nantis ici en Amérique du Nord qui en bénéficient de ses recherches et de ses méthodes. Ce qu’elle préconise reste d’actualité et mérite une sérieuse considération. Mais, comme j'ai mentionné précédemment dans cet ouvrage, je ne mets pas une méthode au-dessus d'une autre. Je veux, par contre, évoquer la curiosité de l’enfant qui le pousse à comprendre son environnement. Lorsque ce n’est pas le cas, il y a d’autres forces en jeu, et nous en reviendrons. L’éducation formelle, standardisée et institutionnalisée n'exploite pas suffisamment la curiosité de l’enfant.