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Éducation

L’enseignant, c’est qui?

Karenne Friday December 29, 2023

Flickr 7403731050  

Lorsque nous parlons d’enseignant, nous avons une image en tête; souvent c’est l’image d’une femme ou d’un homme debout devant une classe remplie d’élèves assis derrière des pupitres en rang. On voit également le tableau en avant de la classe et il y a un gros bureau derrière lequel elle ou il s’assoit lorsqu’elle ou il n’est pas debout devant la classe. Vous n’avez qu’à taper le mot enseignant dans le moteur de recherche de Google, sélectionnez “images” et vous verrez que l’idée que nous avons de la classe et surtout de l’enseignant est presque universelle. Y a-t-il une autre façon d'envisager un enseignant?

L’enseignant, ici au Québec, doit avoir son brevet afin d’être légalement qualifié pour enseigner dans les écoles. Or, avec la pénurie d' enseignants, il y de plus en plus de personnes qui peuvent remplacer un enseignant pendant une certaine période ou à contrat pendant toute l’année si nécessaire. Au Québec, on ne reconnaît pas l’expérience de la personne ni d’autres études. Mais, je me demande si c’est vraiment le diplôme que fait l’enseignant? Certains disent que l’enseignante ne fait pas assez d’années d’études, qu’elle devrait avoir les meilleures notes à l’école, que tout cela fera d’elle une vraie experte et apportera une plus grande reconnaissance de la profession. Je ne suis pas certaine de cela. J’ai eu l’occasion de côtoyer des enseignants pendant longtemps et ce qui distinguait une bonne enseignante d’une mauvaise n’était pas ses années d’études, son Q.I. ou ses résultats académiques. Ce qui faisait d’elle une bonne enseignante était sa passion pour la profession, pour l’apprentissage, pour les humains et pour sa matière. Hatie le résume bien :

Prenons, par exemple, l’expression de la passion pour l’enseignement et l’apprentissage. Stelle souligne que la passion n’a rien de mystérieux: elle est liée au degré d’enthousiasme manifesté par l’enseignant, à l'ampleur de son engagement envers chaque élève, l’apprentissage et l'enseignement en tant que tel …“Ces enseignants sont fondamentalement convaincus que l'apprentissage des élèves est leur responsabilité et ils s’efforcent de toujours faire mieux chaque jour.” (Stelle, 2009, p 185)...la plupart d’entre nous se souviennent de nos enseignants préférés parce qu’ils tenaient profondément à ce que nous partagions leur passion et leur intérêt pour leur matière. Ils semblaient redoubler d’efforts pour s'assurer que nous comprenions; ils acceptaient nos erreurs et en tirent des leçons; et ils se réjouissaient lorsque nous parvenions à atteindre les critères de réussite. (1)

J’en conclus que ce sont des qualités qu’une personne peut avoir même si elle n’a pas étudié pendant 4 ans dans un programme d’enseignement. La personne qui enseigne à l’apprenant peut le faire sans être un enseignant attitré et diplômé. Même si certains penseront que les enseignants ne sont pas suffisamment diplômés, l'expérience acquise sur le terrain et l'expérience de vie sont encore plus essentielles pour parfaire un enseignant. La personne qui nous enseigne peut être une personne significative dans nos vies sans que cette personne ait reçu son diplôme en enseignement. Quelqu’un avec qui l'on a une bonne relation va nous “enseigner” plus facilement que les autres qui n’ont pas une relation avec nous. Je veux dire par cela qu'un voisin gentil et intéressé pourrait facilement devenir l’enseignant par le fait qu’il maîtrise une connaissance quelconque et qu’il a une bonne relation avec nous. On apprendra sûrement quelque chose lorsqu’il nous parlera de sa haie parce qu’il en sait quelque chose et a réussi à travers les années à cultiver sa haie avec brio, mais aussi que nous avons une bonne relation avec lui. Il n’a pas fait 4 ans d’études pour savoir comment transmettre ses connaissances, il a seulement acquis des connaissances d’une façon ou d’une autre et il est entré en relation avec son voisin et a communiqué sa connaissance. Une bonne partie des connaissances transmises se font de cette manière.

Un parent ne peut pas tout connaître. Un enfant a besoin d’autres ressources pour parfaire ses connaissances. Beaucoup de parents se plaignent parce que l’école n’enseigne pas ci ou ça à son enfant, mais est-ce vraiment à l’école de transmettre tous les savoirs? Ma pensée est que, en tant que parent, je suis le premier responsable de l’éducation de mes enfants. L’école, tel qu’elle existe actuellement, est là pour pallier les manques et offrir un milieu où l’enfant peut socialiser et développer certaines compétences lui permettant d’intégrer la société. Nous arrachons les enfants de leurs parents pour les mettre dans un système pour que les parents puissent aller gagner de l’argent et faire rouler l’économie. Cependant, comme je l'ai déjà mentionné, ce qui est ressorti de mes recherches à la maîtrise était que les familles souhaitent passer davantage de temps ensemble. Parfois on entend à la blague que les parents sont contents que leurs enfants soient pris en charge par d’autres, car ils n’en peuvent plus de leurs progénitures. Cette vérité partielle est souvent le résultat paradoxal de ne pas passer assez de temps ensemble. Le fait que nos enfants nous énervent et que l’on a hâte qu’ils retournent à l’école est souvent parce que nos enfants veulent tellement notre attention comme parent et nous, comme parent n’avons pas assez de temps pour eux. On court partout, on fait ci et ça. En semaine, l'horaire est chargé : réveille, court, école, travail, maison, souper, bain (je n’ai jamais compris le concept québécois du bain quotidien, mais bon, il semblerait que c’est nécessaire chaque soir) et dodo. Comment peut-on dire que l’on a passé du temps de qualité avec nos enfants pendant la semaine? C’est impossible. Le temps passé ensemble est effréné, rempli de stress.

Autrefois, beaucoup de familles à l’extérieur des grandes villes vivaient encore sur les fermes. Là, toute la famille était occupée à réaliser les tâches connexes sur la ferme. Ils n’avaient donc pas de trajet pour aller au travail, les enfants voyaient suffisamment leurs parents, et les parents et les enfants développaient une relation à force d’être toujours ensemble. Les parents apprenaient à leurs enfants les astuces de la vie par le fait de passer du temps avec leurs enfants et les enfants écoutaient, suivaient et imitaient leurs parents. On peut faire l’argument que les apprentissages étaient peut-être très limités et de bases, en même temps, une fois adultes, ces enfants avaient développé des habiletés pour la vie autonome. Il y a un manque de cette forme de transfert de connaissances puisque beaucoup de parents n’ont pas le temps de le faire et l’école s’occupe rarement de ce genre d’apprentissage. Je ne dis pas que l’on doit tous retourner à la ferme ou que c’était mieux dans le bon vieux temps, mais il y a certainement quelque chose d’important dans cette forme de structure qui permet aux parents et aux enfants de développer davantage leur relation, permettant aussi aux enfants d'acquérir les connaissances de leurs parents et d’avoir l’attention tant désirée de leurs parents.

Lorsque je travaillais dans les CPEs, je me souviens d’un couple qui déposait leur enfant de 8 mois très tôt le matin et revenait très tard le soir pour chercher leur enfant. Cet enfant paraissait bien adapté, elle ne pleurait pas trop, elle était souriante et suivait la routine très bien, mais,elle a pris du retard dans son développement moteur et langagier. Il n’y avait personne pour s’asseoir avec elle, passer du temps un à un et jouer ou jaser avec elle. À la garderie, les besoins de bases sont pris en charge, mais c’est plus difficile pour une éducatrice de passer le temps, un à un avec un tout petit bambin pour favoriser le développement. Selon moi c’était un exemple flagrant de l’importance d’une bonne relation pour apprendre. Lorsqu’il y a une relation plus étroite, un enfant apprend mieux. Comme indique l’étude : “In the words of the distinguished developmental psychologist Urie Bronfenbrenner: ...in order to develop normally, a child requires progressively more complex joint activity with one or more adults who have an irrational emotional relationship with the child. Somebody’s got to be crazy about that kid.” (2) Un enfant qui se sent juste comme un numéro parmi plein d’autres aura tendance à avoir de la misère à acquérir certains apprentissages. J’affirme avec certitude qu’un parent qui ne prend pas le temps de connaître son enfant jeune ne retrouvera pas ce temps lorsque son enfant sera grand.

Un enfant très social va chercher lui-même à bâtir la relation et on voit que ces enfants proactifs sont souvent plus vites à acquérir certains apprentissages. Un enfant qui reste en retrait pourrait avoir plus de misère à apprendre. Un enfant trop docile et trop coopérant n’est pas forcément un meilleur élève est n’est peut-être pas en train d’apprendre adéquatement. Souvent ces enfants sont plus gênés et ne vont pas chercher à créer des relations avec autrui alors il ne va pas atteindre sa pleine capacité si on ne va pas le chercher.

On constate à travers des études que la relation avec l’enseignant est importante, mais également la relation avec les pairs. Les enfants vont s’encourager, s’entre aider, se stimuler et partager leurs connaissances “Un message important qui ressort de la recherche de Shayer concerne le rôle des enseignants. Ceux-ci doivent veiller à structurer l'apprentissage de manière à ce que les élèves puissent apprendre par eux-mêmes et conjointement avec leurs pairs…” (3)

Un enseignant n’est pas forcément quelqu’un qui a étudié longtemps la pédagogie ou qui a lu beaucoup de livres sur le sujet. On dit souvent que l'enseignement est une vocation. Je le crois aussi. Souvent, un vrai enseignant est quelqu’un qui possède ces aptitudes depuis un jeune âge. C’est plus qu’une profession, c’est une façon d’être. Mon père a été enseignant à l’école pendant très peu de temps, par contre, il est un vulgarisateur naturel. À 80 ans, il est encore en train de donner des ateliers qui portent sur l’apiculture aux grands et aux petits. Il sait s’adapter et il sait construire son matériel pour captiver l’intérêt de son apprenant. Il a l'habileté de communiquer des notions, surtout sur la nature et sur la vie qui nous entoure. Je vois même de jeunes enfants avec le profil d'enseignant. Ils vont prendre le temps avec un autre enfant pour lui montrer des choses. Ils entrent en relation avec l’autre et semblent avoir le tour avec son élève.

Même si toute personne avec la passion pour le métier ou le tour de vulgariser peut être enseignante à presque n’importe quelle âge, il est crucial que l’enseignant ait une expérience de vie quelconque. Une enseignante, sortie fraîchement de l’école qui a suivi un parcours traditionnel; secondaire, CÉGEP, université et ensuite entrée sur le marché du travail, n’a pas vu grand chose de la vie. Elle a ses connaissances académiques, mais elle n’a pas beaucoup d’autres expériences et à partager avec ses apprenants. Elle sera moins riche en expérience de vie que quelqu’un qui a vécu un peu plus. Plusieurs enseignants stimulants et enrichissants que j’ai connus personnellement ou côtoyés dans mon parcours professionnel ont poursuivi une carrière en enseignement plus tard dans leur vie. Je constatais une grande différence entre eux et ceux qui ont suivi un parcours plus traditionnel et qui n’avaient pas beaucoup d’expérience de vie. Généralement, ils étaient plus patients, pouvaient mieux relativiser, avaient d’autres expériences sur quoi puiser pour enrichir leurs enseignements et ils avaient plus de confiance en eux. En Ontario, et dans d'autres provinces, ceux qui veulent aller en enseignement doivent d’abord obtenir un baccalauréat et ensuite ils poursuivent leurs études en faisant un baccalauréat en éducation en une ou deux années. Au moins l’enseignant va avoir vu d’autres sujets que l’enseignement au cours de son éducation postsecondaire.

On peut aller à l’école pour apprendre certaines techniques d’enseignement, les courants, les méthodes et comprendre le “système” mais, l’essence d’un enseignant est à l'intérieur de la personne et beaucoup du savoir-faire est appris sur le tas. Des échanges avec d’autres qui ont un rôle d'enseignant s'avèrent utiles et essentiels, mais formaliser l’apprentissage de l’enseignement n’est pas ce qui donne les meilleurs enseignants peu importe le nombre d’années d’études ou le contenu du programme. La formation continue est plus utile, puisqu’elle permet aux enseignants déjà actifs d’échanger, d’approfondir leur connaissance dans le métier, de remettre leurs pratiques en question et d’acquérir d’autres astuces pour les aider dans leur métier. Laissons les enseignants naturels enseigner et cherchons tous à être un peu enseignant par notre patience, par notre relation avec l’autre et par notre humanité.

(1) Hatie, John, (2017). L'apprentissage visible pour les enseignants : connaître son impact pour maximiser le rendement des élèves. préface de Monique Brodeur, Claude St-Cyr ; traduction : Marc Denis. Québec (Québec) : Presses de l'Université du Québec. p.43

(2) National Scientific Council on the Developing Child. (2004). Young children develop in an environment of relationships. Working Paper No. 1. Retrieved from http://www.developingchild.net p.1

(3) Hatie, Ibid, p.137